mercredi 16 avril 2008

3) Pistes de réflexion



J’attire d’abord l’attention de la lectrice de bonne foi (de même que celle du lecteur) sur le fait que le titre de cet ouvrage n’est pas Essais sur l’imprégnation fasciste DU Québec, ni Essais sur l’imprégnation fasciste DES QUÉBÉCOIS, mais bien Essais sur l’imprégnation fasciste AU Québec...

Qu’est-ce que l’imprégnation fasciste ? L’auteure le dit clairement dans son introduction :

L’imprégnation fasciste, ce n’est pas autre chose que la « volonté de rupture de l’ordre libéral » qui demeure le « fil conducteur » unissant les groupes radicaux des années trente. L’ordre libéral, la bête noire de tous les extrémismes, peut être rompu, bien sûr, en tirant à droite... ou en tirant à gauche. Et encore mieux en tirant des deux bords à la fois.

Dans son essai Vieille garde et jeunes turcs, Esther Delisle montre bien que si effectivement des thèmes et des slogans de l’extrême droite des années trente, de même que des éléments de son programme, ont été repris dans les années soixante par le centre libéral, le phénomène le plus frappant, (celui qui moi m’intéresse plus particulièrement, en tant qu’anticommuniste obsédé) c’est l’émergence graduelle, c’est l’implantation, puis la domination, sur le terrain nationaliste, d’une gauche marxiste, qui, tout en partageant avec l’extrême droite le même discours anti-libéral, jouissait d’une légitimité qu’avaient perdue et le fascisme et le nazisme (vaincus sur le terrain et déconsidérés dans les esprits).

Il est désolant de constater que même les indépendantistes hostiles à la violence et
favorables à la démocratie n’osaient réprouver sur la place publique que les moyens employés par les extrémistes, rarement leurs objectifs. Ces objectifs, quels étaient-ils ? Les discours sont clairs, l’essai d’Esther Delisle vient encore une fois de nous les rappeler. Car si effectivement les felquistes et leurs sympathisants voulaient réaliser, par la violence ou autrement, l’indépendance du Québec, ils ne voulaient pas que ça ! Par la violence ou autrement, ils voulaient faire du Québec quelque chose qui ressemblait à... l’Albanie ? À Cuba ? À L’URSS ? La Chine ? La Corée du Nord ? La Roumanie ? La Lituanie ? Faites votre choix !

Évidemment, ils ne pouvaient réussir, le Québec n’étant pas davantage « prêt », dans les années soixante ou soixante-dix, pour la révolution socialiste souhaitée par Vallières (par exemple), qu’il n’avait été sympathique dans les années trente au régime nazi prôné par Adrien Arcand (par exemple) !

Mais quel merveilleux outil de déculpabilisation, quand même, à l’époque, que le nationalisme fasciste mâtiné de marxisme-léninisme, d’anticolonialisme et de romantisme révolutionnaire, qui permettait de poser des bombes !... de commettre des vols à main armée !... de tuer par erreur une secrétaire ou un gardien de nuit !... de se voir accorder par une élite étourdie le titre immérité de « prisonniers politiques » ! Qu’heureusement le "système oppresseur" ne leur accorda pas.

Vous direz que ces gens-là finirent par renoncer au crime. C’est exact. Le terrorisme avait été légitime dans le passé, dirent-ils pour la plupart une fois les crises passées, mais il n’était plus nécessaire. Plus rares furent ceux qui renièrent leurs idéaux de l’époque où ils croyaient encore justifié de poser des bombes, de braquer des banques ou d’enlever des gens. Petit à petit, il s’avéra dans les années soixante-dix que l’indépendance pouvait en effet être accomplie par des moyens démocratiques.

Mais l’élection du Parti québécois marqua surtout le début d’une grande désillusion. Non point, à mon avis, parce que le PQ perdit le référendum de 1980 et ne put réaliser l’indépendance, mais surtout, toujours à mon très humble avis, parce qu’il pratiqua quand il arriva au pouvoir une politique de centre-gauche (social-démocrate comme il est convenu de dire).

En fait, le Parti québécois fit, grosso modo, sauf sur le plan constitutionnel, une politique libérale (au sens large) qu’auraient pu pratiquer les libéraux (au sens étroit) ! De toute façon, si la social-démocratie (branche du socialisme détachée de l’arbre) fait partie d’une famille politique, c’est bien de celle du libéralisme pris dans son sens large, y compris dans son sens économique. Les sociaux-démocrates, ce sont des capitalistes plus gentils que les autres, des capitalistes altruistes qui sont plus enclins à venir prendre les sous dans la poche de l’un pour les déposer dans la poche de l’autre (ou pour entretenir une lourde bureaucratie).

C’est ce qu’était le Parti québécois sous la direction de Lévesque, c’est ce qu’il est resté sous Johnson, Parizeau, Bouchard et Landry : un parti de centre-gauche (
1). C’est ça, d’ailleurs, qui choquait tant, qui choque encore aujourd’hui les vrais socialistes.

Non, la politique de centre-gauche du P.Q., ce n’était pas insupportable, loin de là ; mais pour certains c’était une trahison ! Les felquistes repentis des années soixante et leurs suppôts moins violents ou pas violents du tout, croyez-vous qu’ils étaient contents entre 76 et 80, entre 80 et 85 ? Lisez donc Un Québec impossible, de Pierre Vallières. Qu’est-ce qu’il veut encore, qu’est-ce qu’il prêche encore en 1977, Pierre Vallières ? La même chose qu’en 65, qu’en 68 ou qu’en 70 : la révolution socialiste, c’est-à-dire la victoire au Québec d’une des deux pires calamités du XXe siècle, un Québec soumis à la barbarie !

Bien sûr, dans de longues pages remplies d’un désespoir amer qui me rappelle certaines colères de François Hertel (citées par Esther Delisle), Vallières confesse douloureusement que son rêve ne peut se réaliser (heureusement pour nous !)... Et bien sûr, lorsqu’il écrit lui-même le mot « totalitaire », c’est pour nous dire qu’il rejette le totalitarisme. Mais tout en proposant en même temps, le crétin, dans un discours où se retrouvent mêlés antiaméricanisme, anticapitalisme, écologisme et quelques autres « ismes », tous les moyens nécessaires pour que la dictature triomphe. Une dictature du Bien, car Vallières était un grand idéaliste.

Oui mais, me direz-vous, pour arriver à ses fins (à supposer qu’elles soient celles que vous dites), Vallières n’employait plus que des moyens pacifiques : il écrivait des bouquins, il prononçait des conférences, il militait dans un parti politique, peut-être même qu’il priait... Tout à fait ! Vous avez raison ! Il faut lui en savoir gré. N’importe qui peut militer pour n’importe quoi, à condition de le faire à l’intérieur de la légalité démocratique. Du moins dans un régime de Droit.

Mais il faut que je rectifie : n’importe qui peut militer pour n’importe quoi... à condition de le faire à gauche. Imaginez un clone d’Adrien Arcand proposant aujourd’hui, même par des moyens pacifiques, un régime fasciste (
2) et antisémite ! Impossible ! Et heureusement, d’ailleurs !

Évidemment, on n’a plus à combattre, dans le Québec d’aujourd’hui, ni le nazisme ni le communisme, qui ne sont plus objets de luttes ou de débats qu’en tant que fossiles de l’Histoire. Là se trouve selon moi la grande différence, même de nos jours, entre l’anti-libéralisme de droite et l’anti-libéralisme de gauche, entre le fascisme et le communisme.

Et c’est, selon moi, ce qui explique en grande partie les réactions de notre intelligentsia aux livres d’Esther Delisle : la honte rattachée au fascisme et au nazisme. Le fascisme est une maladie honteuse. Même des vieillards cacochymes (
3) qui ont déjà flirté avec le fascisme dans leur jeune âge ne veulent pas que ça se sache.


[1] Qu’il est demeuré sous Boisclair et demeure sous Marois (note ajoutée en 2008).

[2] Il aurait été plus exact d’écrire nazi (note ajoutée en 2008).

[3] Adjectif malheureux, que je regrette d’avoir employé juste avant d’évoquer la mésaventure de Jean-Louis Roux. Qu’il soit bien entendu que l’épithète ne le visait nullement. Mea culpa ! (note ajoutée en 2008).

Aucun commentaire: