mercredi 16 avril 2008

1) Idées préconçues



L’effet Delisle

par Pierre K. Malouf


Notes de l’auteur : Ce texte a paru une première fois en 2002, en postface aux Essais sur l’imprégnation fasciste au Québec, d'Esther Delisle, (Édition Varia). Ce livre, qui est désormais introuvable dans les librairies et retiré du catalogue de l’éditeur (mais il reste disponible en bibliothèque) contient trois essais : Fragments d’une jeunesse retrouvée ; Vieille-garde et jeunes Turcs, et Heil Christ ! Quand l’auteur parle de "l’an dernier" dans la première phrase, il s’agit donc de l’année 2001.

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Nous, les démocrates, nous sommes aussi loin du totalitarisme de la gauche que de celui de la droite, car nous ne préférons pas la morsure du chien, à celle de la chienne. Mais voici que notre maison est en feu. Le temps serait mal choisi de demander des comptes
au voisin qui accourt pour jeter de l’eau sur les flammes.

‒ Jean-Charles Harvey (1)


Idées préconçues

Je n’avais conservé, avant la rédaction et la publication l’an dernier (chez Varia) de mon pamphlet Lettre ouverte aux chiens édentés qui agitent la queue et à leurs chiots qui mordillent, qu’un souvenir fort vague de la tempête soulevée par la publication en 1992 du premier livre d’Esther Delisle (une version allégée de sa thèse de doctorat), Le Traître et le Juif.

Il m’avait semblé à l’époque que le scandale et les condamnations provoquées par cet ouvrage n’étaient que l’expression particulièrement virulente d’un réflexe de dévotion (qu’on ne rencontre pas que dans les milieux intellectuels indigènes), phénomène que Jean-François Revel, à la suite des réactions provoquées chez les philosophes français par son impérissable Pourquoi des philosophes, décrit de la façon suivante :

[...] L’argument par les conséquences, [qui ] consiste, en présence d’un raisonnement ou de l’expression d’un sentiment, à prendre en considération non point la force des preuves ou le poids des faits sur lesquels ils se fondent, mais le caractère désirable ou indésirable des conclusions qu’ils comportent par rapport à la prospérité d’une théorie, ou d’une manière de penser, ou de sentir, auxquelles on tient — les raisons de cet attachement pouvant, d’ailleurs, être, dans certains cas, en partie désintéressés. (
2)

J’avais donc l’impression, sans avoir fouillé le dossier, que l’on rejetait la thèse d’Esther Delisle pour la simple raison qu’elle provoquait des remous dans une mare encore vivante (quoique stagnante), mais point du tout parce qu’elle venait remuer les vieux gisements d’idées d’universitaires et/ou d’historiens soucieux de vérité et d’exactitude. Esther Delisle nuisait à la Cause de l’indépendance et servait de caution aux ennemis du Québec (Mordecaï Richler avait accordé à la malheureuse le baiser de la mort), cela suffisait donc pour qu’on rejetât d’emblée et l’oeuvre et l’auteure.

La vérité n’intéressant personne (je m’excuse auprès de M. et Mme Toulemonde : je ne vise ici que les élites pensantes), seule compte chez les intellectuels "engagés"

(engagés dans tout sauf dans le savoir) la cause politique et idéologique du moment.

Résonnent encore à mes oreilles les hauts-cris des socialistes français quand, leur témoignage risquant de porter ombrage à l’Union de la gauche et de nuire à la popularité des socialistes, on jeta du discrédit sur les rescapés du Goulag (en particulier Soljenitsyne) qui osaient dire en Occident (et à l’Occident) ce que la plupart des occidentaux savaient déjà depuis longtemps, à savoir que le communisme (à travers tous ses avatars : léninisme, stalinisme, titisme, maoïsme, castrisme, etc.) avait été, était, ne pouvait être, ne serait jamais autre chose qu’une catastrophe meurtrière ou à tout le moins débilitante pour les peuples qui le subissaient.

Simple parallèle : la réaction québécoise aux thèses de Delisle me paraissait, toutes proportions gardées, relever du même mécanisme de défense que les leviers de bouclier de la gauche française : « Madame, cachez ce Groulx et ce Devoir que je ne saurais voir ! »

Le débat autour du livre de Mme Delisle était donc polarisé en pour et en contre de part et d’autre d’un clivage purement ethnique : pour Esther Delisle, les Canadiens anglais et les Juifs ; contre Esther Delisle, les « vrais Québécois ». Pour, les fédéralistes ; contre, les indépendantistes. Je ne doutais point par ailleurs qu’il pût y avoir de chaque côté de la ligne de front des traîtres à leur propre cause.

Mais c’était-là, je le confesse, pure spéculation de ma part, car je n’avais du dossier qu’une connaissance fort superficielle. D’ailleurs, je ne lus point à l’époque le livre sacrilège de la misérable empêcheuse de professer en rond. J’avoue à ma courte honte n’avoir pris connaissance de son oeuvre que l’an dernier. Je commençai d’ailleurs, me documentant pour mon petit brûlot, par Mythes, mémoire & mensonges. Je m’empressai ensuite, évidemment, de parcourir Le Traître et le juif. Les deux oeuvres me parurent fort convaincantes.

Je voyais démontré le fait qu’il y avait effectivement eu au Canada français, comme il en avait existé ailleurs dans le monde, des écrivains, des penseurs, des publications, des associations antisémites ; il avait existé au Canada français des intellectuels éminents, des politiques influents, qui voyaient dans les régimes autoritaires de droite qui s’étaient implantés en Europe après la Première Guerre mondiale (au Portugal, en Italie, en Autriche, en Allemagne, en Espagne, en France après la défaite de 1940), des modèles de gouvernement pouvant servir d’exemple à un Canada français éventuellement affranchi de l’impérialisme anglo-saxon, du libéralisme et de la maudite démocratie parlementaire, un Canada français transformé en Laurentie !

M’était confirmé le fait qu’il s’était trouvé des gens, au Canada français comme ailleurs, pour téter, dans leur rêve d’un corporatisme, d’un fascisme ou même d’un nazisme indigènes, une nourrice dont le lait avarié contenait, entre autres toxines, une forte dose d’antisémitisme. D’autant plus que le Juif, loin de n’être que le principal vecteur des maux du capitalisme, était également le grand responsable du pire ennemi du susdit capitalisme, le communisme ! Bouc émissaire universel, responsable de toutes les horreurs, le Juif pouvait être haï de tout bord et de tout côté.

Pour un Adrien Arcand, par exemple, le mot communisme était nécessairement soudé au préfixe judéo. N’existait qu’une forme de communisme, le JUDÉO-communisme, expression qu’on retrouve partout dans un livre relativement récent (1994) consacré au plus célèbre des nazis québécois, Adrien Arcand, une grande figure de notre temps, de Jean Côté.

Que m’apprenait Le traître et le juif que ne m’avaient déjà appris mes lectures préalables ? Tout simplement que Lionel Groulx avait été un important locuteur (comme disent les universitaires) du courant fascisant, Le Devoir également. Pas de quoi en faire un plat !

Mais moi, personnellement, il faut vous dire que me laisse de glace l’idée que Le Devoir des années trente et quarante, l‘idée que le chanoine Lionel Groulx, un curé moyenâgeux dont je me soucie autant que de ma première chemise (brune ou bleue ?), aient été fascistes, corporatistes, pétainistes ! Ils ne l’étaient pas ? Débattons-en, alors ! Apportons des preuves contraires ! Réfutons Esther Delisle ! Ou tout autre auteur qui partage ses idées !

Qui partage ses idées ? Y en aurait-il ? Eh bien oui ! Et pas seulement sur l’autre rive de l’Outaouais. Imaginez-vous donc que certains ont dit, bien avant elle, à peu près ce que dit Mme Delisle. Tout ce qu’elle a fait, la Delisle, il me semble (et sans vouloir diminuer son insigne mérite), c’est d’ajouter au dossier davantage de preuves solides et de pièces à conviction.

Vous voulez des exemples ? En voici deux :

Parlant des anti-conscriptionnistes, quelqu’un écrivait : « C’étaient des disciples d’Henri Bourassa et du chanoine Groulx, des intellectuels souvent sympathiques à Mussolini et à Hitler, antisémites et racistes ».

Non, ce n’est pas Esther Delisle qui le dit, c’est Pierre Vallières dans Nègres blancs d’Amérique !

Oui, Pierre Vallières, écrivain, révolutionnaire, crypto-terroriste, contempteur de tous les moulins à vent et mystique tardif, homme éminemment respectable et respecté (après tout, durant toute sa vie il ne voulut jamais que notre bien, Vallières), dont la mémoire sans tache ne soulève aucun haut-le-coeur dans les milieux universitaires conscientisés (si je me trompe, que l’on veuille bien me signaler les flaques de vomi : je m’empresserai de publier une rectification), ni chez les intellectuels engagés (à gauche du moins). J’attends qu’on publie de ce bord-là un texte renvoyant dos à dos Vallières et Delisle... Ha ! Ha ! Ha !

Oui, elle a eu des précurseurs, Esther Delisle. Croyez-vous qu’un Jean-Charles Harvey était beaucoup plus tendre, en son temps, avec les élites fascisantes qui les lui cassaient ? Né en 1891, et déjà condamné en 1934 pour son roman Les Demi-civilisés, Harvey clamait dans les années trente et quarante ce que Vallières affirmera dans les années soixante (
3) , ce que Delisle analysera dans les années quatre-vingt-dix.

En voilà un, Harvey, qui ne doutait pas des sympathies compromettantes d’une certaine élite canadienne-française. En voilà un qui ne s’est pas gêné pour dénoncer et combattre les politiciens, les avocats, les partis, les associations, les journaux, les journalistes, les intellectuels d’extrême droite.

Il ne pouvait aller, malheureusement, jusqu’à vitupérer les curés... mais ce n’est pas l’envie qui manquait. Il ne pouvait pas non plus appuyer dans ses pages les luttes ouvrières : il se serait fait couper les vivres par les hommes d’affaires qui finançaient Le Jour, l’hebdomadaire qu’il avait fondé en 1937 et qu’il dirigea et publia jusqu’en 1946. À ce propos-là, Yves Lavertu, dans son livre Jean-Charles Harvey, Le combattant, bien qu’il soit très favorable à Harvey, ne dore pas la pilule et ne dissimule pas les failles du personnage. Quoi qu’il en soit des compromis qu’il a dû faire, la carrière ultérieure de Harvey (de même que sa mémoire) en a bien pâti, des combats qu’il a osé livrer contre les ennemis de la démocratie. (Qu’en est-il de la carrière d’Esther Delisle ?)

Finalement, parmi ces trois pourfendeurs du fascisme de nos aïeux : Harvey, Vallières, Delisle, un seul a conservé un statut honorable dans l’estime des esprits éclairés. De qui s’agit-il ?

Pierre Vallières, promoteur du socialisme marxiste (on pourrait dire : du fascisme de gauche), a en effet eu droit après sa mort, de la part du journaliste Jean Dion, du Devoir, à un hommage posthume pas piqué des vers : « Toute sa vie aura été marquée par l’indignation et la volonté de résistance au nom de la dignité humaine. (
4) »

À ce coup d’encensoir, Martin Masse, du Québécois Libre, réagit violemment. Je ne citerai qu’une phrase de ce dernier : « Ce fou furieux [Vallières] était de la trempe des idéalistes utopistes qui, lorsqu’ils ont pris le pouvoir en Russie, en Chine, au Cambodge, à Cuba ou ailleurs, sont systématiquement devenus des monstres (
5). »

Je ne peux malheureusement m’empêcher d’être d’accord. Un éloge de Pierre Vallières dans un média nationaliste ? Est-ce vraiment étonnant ?

On pourrait comparer ça à un article qui ne fut, Dieu soit loué, jamais écrit : Jacques Beauchamp vantant en 1967, dans sa chronique du Journal de Montréal, les mérites d’Adrien Arcand, mis en bière la veille. Beauchamp était trop intelligent pour publier de telles sottises. La différence entre Vallières et Arcand ? Vallières avait renié le terrorisme sans renoncer à ses objectifs ; Arcand n’avait pas non plus changé d’idée, mais n’avait cependant pas eu besoin de renoncer à un terrorisme qu’il n’avait jamais pratiqué.

La différence entre Beauchamp et Dion ? Beauchamp écrivait dans une feuille populiste, Dion publie dans un journal élitiste.


[1] Paroles extraites d’un discours prononcé lors d’une assemblée communiste tenue au Forum de Montréal en fin juillet 1941. Rapporté dans Jean-Charles Harvey, Les Armes du mensonge, éditions La Patrie, 1945, p. 2. Citation et référence tirées de Yves Lavertu, Jean-Charles Harvey, Le combattant, Montréal, Boréal, 2000, p. 252.

[2] J.-F. Revel, La cabale des dévots, Paris, J.-J. Pauvert, 1965, p. 5.

[3] Mais j’y pense... Où avait-il pris ça, Vallières, que les nationalistes des années quarante étaient fascistes et racistes ? Il l’avait sûrement appris de quelque professeur ou sommité, non ? Et lequel de professeur ? Vite, dites-nous son nom que nous le condamnions aussi ! ...

[4] Jean Dion, « “Je défends la liberté” », Le Devoir, 23 décembre 1999, p. A-1.

[5] Martin Masse, « Pierre Vallières, défenseur de la liberté ? », Le Québécois libre, no 28. 9 janvier 1999.

2) Hypothèses confirmées, jugement ébranlés



C’est donc fort du bagage décrit précédemment que je pris connaissance des trois essais qui composent ce livre et me suis vu forcé de réviser certaines de mes positions, de renoncer à quelques postulats, d’approfondir ma vision des choses et ce, pour deux raisons principales : d’abord à cause du contenu même des trois essais ; mais également parce que j’ai dû examiner avec soin (préparant cette postface), un dossier dont je ne pouvais parler auparavant qu’à travers mon chapeau.

Mon hypothèse est la suivante : le livre actuel sera accueilli de la même façon que les précédents et se verra opposer les mêmes arguments et/ou fin de non recevoir. Aussi ferai-je précéder les réflexions que m’inspirent les Essais sur l’imprégnation fasciste au Québec de quelques considérations sur les critiques passées, qui pourront nous être utiles ultérieurement.

Il faut d’abord que je l’admette : je m’étais trompé, débat il y a eu, mais faux débat, les panelistes rivalisant d'arguments (toujours les mêmes) pour condamner une accusée absente du prétoire. On trouvera à la fin la liste des textes examinés.

De mes lectures ressort la proposition suivante : Esther Delisle a mis au jour des réalités qu’on aimerait mieux ne pas se rappeler, ne pas reconnaître, ne pas se faire mettre sous le pif ; mais si on se contentait simplement de discuter, de réfuter, de rejeter après examen les idées qu’Esther Delisle professe vraiment, le dommage ne serait pas si grand.

Le hic, c’est qu’on lui prête également des idées et des intentions qu’elle n’a pas ; c’est surtout qu’on lui tient rigueur à elle de ce qu’au Canada anglais certains utilisent ses thèses réelles ou supposées pour déprécier le Québec et les Québécois. L’« effet Delisle » n’a pas fini de se faire sentir.

La critique la plus fouillée se rapportant aux livres d’Esther Delisle a paru dans L’Agora en juin 1994. Elle est l’oeuvre de Gary Caldwell. De la charge de M. Caldwell, je retiens surtout ceci : s’il est vrai, ainsi qu’il le prétend, que la thèse de Mme Delisle comportait de nombreuses failles méthodologiques, comment se fait-il que trois membres sur cinq du jury l’aient acceptée ? L’explication de M. Caldwell : l’Université Laval « s’est permis d’être sujette à des pressions idéologiques », l’Université Laval « s’est rendue à ces pressions de crainte de passer pour antisémite » :

En acquiesçant à un travail académique qui, sans fondement suffisant, qualifie les principaux courants du nationalisme canadien-français d’antisémitisme virulent et quasi-fasciste au point de ressembler à du Nazisme, l’université Laval est coupable de déloyauté envers la communauté qui l’a fait naître, le Canada français (
1).

Un peu plus et le mot « trahison » était lâché ! En fait, je suppute que le seul qui craint de passer pour antisémite (et assurément, il ne l’est pas), c’est M. Caldwell lui-même. Car qui croit-il tromper en accusant l’Université Laval de déloyauté, alors que ceux qui sont visés, ce sont, ce ne peuvent être (sinon il faut mettre en doute leur indépendance académique), que les trois membres du jury qui ont accordé à la thèse d’Esther Delisle un vote favorable, soit Jacques Zylberberg, James Thwaites et Henry Weinberg ?

Ce sont ces trois individus qui ont accepté la thèse de Mme Delisle, non pas la vague entéléchie que M. Caldwell appelle, prudemment, l’Université Laval ! Le recteur de l’Université Laval aurait-il autorité pour obliger les jurys à voter contre une thèse qui lui paraîtrait politiquement incorrecte ? Zylberberg, Thwaites et Weinberg ? Ce qui voudrait dire que les trois personnes qui ont voté en faveur de la thèse étaient anglais et/ou juifs, que les deux qui ont voté contre étaient francophones (et peut-être catholiques pratiquant) ?

Ce qui nous ramènerait, hélas ! cent fois hélas ! à mon jugement téméraire énoncé au début : pour Esther Delisle, les Canadiens anglais et les Juifs ; contre Esther Delisle, les vrais Québécois ? Eh bien !... non.

Il n’y a pas plus francophone que M. Zylberberg, qui est cependant né de parents juifs, a perdu sa mère à Auschwitz, a été adopté par des parents belges qui l’ont fait baptiser. Docteur de l’Université catholique de Louvain, M. Zylberberg a été titulaire de la chaire Mgr Jacques Leclerq. Juif ou catholique, le loustic ? Je laisse le lecteur décider.

Quant à M. Thwaites, il est anglican, mais bien que de langue maternelle anglaise, il parle un excellent français et est professeur titulaire au département des Relations industrielles de l’université Laval. Seul M. Weinberg est bel et bien juif.

Mais trève d’inquisition, nous ne voulons ni ne pouvons expliquer les votes de MM. Zylberberg, Thwaites et Weinberg par leur origine ethnique, leur langue maternelle ou leur confession religieuse. Mais au-delà de la langue, de la race et de la religion, s’agirait-il donc de trois affreux fédéralistes ? Opposés à deux charmants séparatistes ?

Je n’en sais rien et je ne veux pas le savoir. Remettre en question la bonne foi, l’impartialité, la compétence des trois hommes qui ont voté pour la thèse, ce serait remettre en question la bonne foi, l’impartialité et la compétence des deux hommes qui ont voté contre. Et vice-versa.

À moins que quelqu’un puisse prouver à la face du pays qu’on n’était honnête, impartial et compétent que d’un seul côté du tribunal. Pour ma part, je n’ai aucune raison de mettre en doute la probité, l’impartialité et la compétence de Guy-Antoine Lafleur et de Pierre Anctil. J’en conclus par conséquent que la thèse de Mme Delisle était assez solide pour être approuvée à majorité par un jury de cinq membres tous de bonne foi, impartiaux et compétents.

Pourtant, depuis 1994, l’opinion de M. Caldwell, devenue la Bible des anti-Delisle, revient tel un mantra dans les critiques négatives (elles le sont toutes). Caldwell l’a dit : la thèse d’Esther Delisle ne tient pas debout. Dans son compte rendu de Mythes, mémoire et mensonge, Louis Cornellier, du Devoir, assène à ses lecteurs l’article principal du petit catéchisme :

« Seulement, pour mémoire, je rappellerai qu’à la suite de la parution de son précédent pamphlet (qui était aussi, à peu près, une thèse de doctorat !), Le Traître et le Juif, Delisle avait subi une critique en règle mais rigoureuse de la part du sociologue Gary Caldwell, laquelle critique invalidait l’essentiel du travail de la chercheure à ce moment [...] ».(
2)

Dans une réplique publiée quinze jours plus tard, Esther Delisle rétorque qu’en se basant sur Gary Caldwell pour la discréditer M. Cornellier rate la cible, M. Caldwell s’étant rétracté. À la critique selon laquelle ses écrits ressortent du domaine de la chasse aux sorcières motivée par son aversion pour le « le nationalisme québécois », elle répond qu’elle laisse à d’autres « le soin de débattre du nationalisme québécois » et ajoute un peu plus loin qu’elle n’a « jamais contesté le droit des élites canadiennes-françaises d’obédience nationaliste et fédéraliste de fonder leur espérance sur les écrits d’un nazillon du style de Lionel Groulx. Je n’ai jamais fait plus qu’exprimer ma perplexité devant pareil choix. » (
3) Suivent deux citations du chanoine.

Huit jours plus tard paraît, toujours dans Le Devoir, une lettre de Jacques Dufresne. Mme Delisle s’égare : M. Caldwell ne s’est pas rétracté, mais pas du tout ! Il n’a fait que rectifier des points de détail. Parlant du texte incriminé, M. Dufresne écrit :

Cet article de 15 000 mots, paru simultanément dans L’Agora et dans Literary Review of Canada, en juin 1994, a été lu par la plupart des chercheurs en sciences humaines au Canada anglais et au Québec et, à notre connaissance, il n’a jamais été réfuté, ni même contesté par un représentant digne de foi de la communauté scientifique. Le jugement très sévère de monsieur Caldwell doit donc être considéré comme le jugement définitif. (
4)

Nous voilà donc revenu à notre point de départ ! M. Dufresne entérine le jugement de M. Caldwell, à savoir que l’Université Laval « s’est permis d’être sujette à des pressions idéologiques », l’Université Laval « s’est rendue à ces pressions de crainte de passer pour antisémite ». L’Université Laval étant représentée en l’occurence par MM. Jacques Zylberberg, James Thwaites et Henry Weinberg d’une part, par MM. Guy-Antoine Lafleur et Pierre Anctil d’autre part, M. Dufresne (vu qu’il s’accorde avec MM. Lafleur et Anctil, soutenus par M. Caldwell, sur le fait que la thèse d’Esther Delisle aurait dû être refusée) remet en question la bonne foi, l’impartialité et/ou la compétence de MM. Zylberberg, Thwaites et Weinberg.

J’en mets trop ? O.K. ! Mon autre hypothèse, c’est que le philosophe Jacques Dufresne se fait ici le propagandiste d’une cause plutôt que l’apôtre d’une vérité. Ce serait là, vraiment, l’abomination de la désolation, je préfère donc croire que le philosophe Jacques Dufresne est vraiment persuadé de la mauvaise foi, de la partialité et/ou de l’incompétence de trois des cinq membre du jury de l’Université Laval, qui, en ce jeudi orageux de septembre 1992, accordèrent une vote favorable à la thèse d’Esther Delisle.

Comme M. Zylberberg persiste et signe dans le récent film d’Eric Scott, Je me souviens, j’attends que viennent confesser publiquement leurs fautes les deux autres jurés, qui sont sans doute, jusqu’à preuve du contraire, des représentants dignes de foi de la communauté scientifique.

L’Épitre de Caldwell aux Canadiens est décidément une référence incontournable. Pierre Trépanier, dans sa critique du film d’Eric Scott, écrit ceci dans Le Devoir du 7 mai de cette année (2002) :

Mme Delisle n’a jamais compris que les réticences des spécialistes à son égard s’expliquent par la piètre qualité scientifique de sa thèse de doctorat, appréciation sur laquelle tombent d’accord le sociologue Gary Caldwell [évidemment !], le politologue Guy-Antoine Lafleur et l’historien Gérard Bouchard. Je partage l’opinion de ces collègues.(
5)

Les réticences DES spécialistes ? Qu’en pensent Zylberberg, Thwaites et Weinberg ? Mais coudon’... M. Bouchard, appelé à la rescousse de Caldwell et Lafleur (sans oublier Dufresne), qu’avait-il dit au fait ? Ceci :

Le livre publié par Esther Delisle est une mauvaise thèse, dépourvue de nuances, qui visait plus à régler des comptes [lesquels ?] qu’à faire comprendre un personnage complexe [Groulx] dont la pensée révèle des ambiguïtés. Avec raison aussi, on a pu reprocher à cette auteure de s’être montrés sélective dans le traitement des textes et d’avoir commenté des extraits hors contexte. Il n’en reste pas moins que plusieurs écrits de Groulx véhiculent aujourd’hui de très fâcheuses évocations. (
6)

Je parierais ma chemise (brune ou bleue ?) que M. Bouchard, référence de M. Trépanier, avait lui-même comme référence première un certain texte d’un certain Gary Caldwell. La vérité révélée remonte dans les canaux du savoir telle une sève suave.

Mais nous nous heurtons toujours au même écueil : comment se fait-il donc que Zylberberg, Thwaites et Weinberg ne se soient pas aperçus que la thèse était mauvaise ? Comment se fait-il qu’eux, les premiers intéressés, ne se soient pas trouvés parmi les « on » qui ont « pu reprocher à cette auteure de s’être [...] et d’avoir [...] » ?

Parce qu’ils étaient, ce que laissait entendre M. Caldwell en 1994, ce que tout le monde qui se réfère à Caldwell reprend à son compte : de mauvaise foi, partiaux et/ou incompétents ? Ou, peut-être... fédéralistes ? Anti-Québécois ? J’ai trouvé : des clones de Mordecaï Richler !

Heureusement, Gérard Bouchard ne se laisse pas embrigader aussi facilement dans la clique des unanimistes et se montre envers Groulx d’une sévérité tout à fait réjouissante :

[...] d’autres aspects de son oeuvre [que celui d’éveilleur de la nation] suscitent un profond malaise et le disqualifient comme figure emblématique du nationalisme actuel. On parle en effet d’un homme qui a proposé de la nation une définition quasi ethniciste, qui est l’auteur d’énoncés antisémites, qui a manifesté des sympathies fascisantes, qui démontrait très peu d’enthousiasme pour la démocratie et qui, par souci de la pureté nationale, est venu bien près de donner à ses idées des racines carrément biologiques. Pourquoi s’employer aujourd’hui à passer ces faits sous silence ou à les nier, ou encore à les légitimer ? (
7)

Oserons-nous affirmer que dans ce passage de sa conférence, M. Bouchard, référence de M. Trépanier, dont une autre référence est l’inévitable M. Caldwell, se montre d’accord avec la mauvaise thèse de Mme Delisle ? Nous l’affirmerons.

Il n’y a donc pas à désespérer. Esther Delisle n’aura pas complètement perdu son temps. Delisle et Bouchard, même combat ! Bien sûr, M. Bouchard ne vise pas exactement les mêmes objectifs que Mme Delisle et ne propose qu’une peine légère à purger dans la communauté. Il reste qu’ils font le même procès et condamnent le même prévenu.

On me dira que ce que dit Bouchard à propos de Groulx, il le savait bien avant de lire Delisle, qu’il n’a d’ailleurs pas lue ! Mais alors, s’il le savait avant, c’est que tout ça (on nous permettra de ne pas détailler ici ce que le mot « ça » désigne), c’était déjà de notoriété publique, ou du moins de notoriété universitaire ? Pourquoi alors condamner Delisle tout en épargnant Bouchard ?

Tendant l’oreille, j’entends les réponses : « Oui mais... ce que Delisle dit, c’est que les nationalistes canadiens-français, c’est que le Canada français tout entier, c’est que tous les indépendantistes sont fascistes ! La preuve, c’est que Mordecaï, etc. ! Bouchard, lui, c’est pas pareil, comme la plupart des critiques de Delisle, il admet simplement qu’on trouve effectivement chez Groulx des textes qui laissent croire que, etc.

Esther Delisle n’a jamais écrit nulle part que le Canada français était fasciste. Elle s’est contenté de traquer les fascistes canadiens-français.

— Bin oui, mais !... Ça, ça fait plaisir aux ennemis du Québec !

— Et puis après ?

— Bin oui, mais !

Aussi bien indiquer la cage d’escalier à un cul-de-jatte…

À défaut de répondre aux arguments exposés par Esther Delisle, les objecteurs, sans toujours se référer au nouveau Nouveau testament, c’est-à-dire à l’évangile de Gary Caldwell, l’entourent d’un discret cordon sanitaire ; et parfois sans se donner le mal de mentionner le nom de la pestiférée contre laquelle il veulent protéger leurs lecteurs menacés. Dans un article du 13 novembre 1996, Jacques Rouillard, professeur au département d’histoire de l’université de Montréal, écrit :

Dans l’analyse que certains auteurs [c’est moi qui souligne] font du fascisme et de l’antisémitisme chez les francophones au cours de cette période, il y a malheureusement le réflexe d’identifier le Canada français à ses tendances les plus conservatrices, soit à certaines revues et à des journaux comme Le Devoir et L’Action catholique de Québec. (
8)

« Le réflexe », dit M. Rouillard. Le réflexe de qui. ? Qui sont donc les « certains auteurs » dont il évoque l’existence ?

Moi, je crois que se trouve dans la ligne de mire de M. Rouillard une cible unique, qui n’a jamais eu, contrairement à ce qu’il prétend, le prétendu « réflexe d’identifier le Canada français à ses tendances les plus conservatrices ». En fait, parmi tous les textes que j’ai consultés, un seul prend acte du fait qu’Esther Delisle se défend bien « de s’en prendre à tout le Canada français ». Citant l’auteure, Pierre Vennat, qui commet par ailleurs l’erreur de qualifier de pamphlet le livre dont il parle (Le traître et le Juif), écrit ceci :

Groulx, l’Action nationale, les Jeune Canada, Le Devoir représententun courant idéologique minoritaire dans le Canada des années trente [...] ». L’historienne rappelle, par exemple, que La Presse, non seulement n’a jamais cédé à ce courant antisémite, mais qu’au contraire, elle a eu, au tournant du siècle, un rédacteur en chef juif, Jules Helbronner. (
9)

Cinq jours après celui de M. Rouillard, Le Devoir publie un texte de Béatrice Richard, candidate (à l’époque) au doctorat en histoire à l’UQÀM. Mme Richard écrit ceci :

Nul doute que l’élite nationaliste des années 30-40 ait flirté avec des idéologies peu recommandables. Mais des historiens crédibles [c’est moi qui souligne] comme Pierre Anctil ont suffisamment fait la lumière sur cette question, avec toutes les nuances qui s’imposent, pour que je m’y attarde. Ce qui m’intéresse ici, c’est la majorité silencieuse. Non l’élite. (
10)

Mme Richard suscite dans mon cerveau dérangé une véritable crise de paranoïa : bien sûr que M. Anctil est un historien crédible ! Mais qui sont donc ces historiens non-crédibles, qui, elle, pardon ! ... qui eux n’auraient pas fait la lumière ?

Vite, avalons un anti-psychotique et retrouvons, comme disait Brassens, les dehors de la civilité. Il ne peut pas s’agir de Mme Delisle, cette dernière n’étant pas historienne mais politicologue. Ouf ! Mme Richard s’attaque donc à un quelconque ectoplasme. Elle dit par ailleurs ne s’intéresser qu’à la majorité silencieuse. C’est son droit. Mais faut-il pour autant interdire à d’autres candidat(e)s au doctorat ou mêmes aux candidat(e)s reçu(e)s, de s’intéresser, même s’ils ne sont pas des « historiens crédibles », aux minorités bavardes ?

Dans d’autres cas, le contraire se produit, on fustige Esther Delisle en la nommant, mais sans faire état du procès auquel elle aurait préalablement été soumise. Ni de la sentence imposée à la coupable par un tribunal qui demeure occulte. La peine n’ayant sans doute pas encore été appliquée, n’importe qui peut se faire bourreau d’occasion.

Au moment de ce qu’il est convenu d’appeler l’ « Affaire Michaud », Stéphane Stapinsky écrit ce qui suit dans sa réponse à deux articles de Lysiane Gagnon : « À mon grand regret, je dois vous dire que je n’ai jamais vu autant de bêtises, autant d’affirmations non fondées en si peu de lignes ! Vous battez presque Esther Delisle sur ce chapitre ! »

Mme Gagnon avait probablement (je n’ose écrire « sûrement », n’ayant pas lu ses textes) affirmé à propos de Lionel Groulx, des choses qui ne faisaient pas l’affaire de M. Stapinsky, qui s’y connaissait sans doute davantage que la chroniqueuse de La Presse puisque qu’il avait travaillé « depuis une dizaine d’années sur Groulx. »(
11)

Ne possédant pas pour ma part les titres académiques qui me permettraient de trancher savamment entre les mérites respectifs de Mme Gagnon et de M. Stapinsky, je me contenterai simplement de noter que celui-ci ne résiste pas, pour condamner celle-là, à la tentation d’agiter devant les lecteurs plus ou moins informés un épouvantail appelé Esther Delisle. Ce qui me fait tomber illico dans le camp de Mme Gagnon (sans avoir eu à lire ses textes). Merci, M. Stapinsky !

Comment le livre actuel sera-t-il accueilli ? Comme les deux précédents. Esther Delisle a perdu au Québec (je généralise à outrance) toute crédibilité. On attendait cet ouvrage avec une brique et un fanal, on va le descendre en flammes. Dans les milieux éclairés (par le fanal), on avait d’ailleurs déjà décidé, le passé étant garant de l’avenir, que le titre annoncé ne pouvait être qu’un tissu de sottises publiées dans le seul but de nuire au Québec français. L’ « effet Delisle » se faisant encore sentir, certains critiques auraient rédigé leurs comptes rendus éreintants avant même d’avoir lu le bouquin que ça ne m’étonnerait guère.

Pourquoi alors, me demandera-t-on, me faire l’avocat d’une cause perdue ? Je vous répondrai que tout ça c’est la faute à mon éditeur, qui m’a prié, il y a peu, de prendre connaissance des trois essais que vous venez de lire.

Le bougre, qui me connaît bien, avait sûrement sa petite idée derrière la tête ; et je ne l’ai sûrement pas étonné quand je rappliquai dans ses bureaux en lui lançant que je me sentais vivement interpellé. Nous avons discuté, puis est venue, de sa part ou de la mienne, l’idée d’une postface. Encore fallait-il obtenir l’accord de l’auteure, qui n’a pas l’habitude d’appeler à la rescousse des amateurs dans mon genre.

Il ne s’agissait pas d’ailleurs de secourir ou cautionner qui que ce soit, il s’agissait plutôt pour moi d’un devoir impérieux, d’une nécessité, auxquels je ne pouvais me soustraire ! Je suis d’ailleurs infiniment reconnaissant à Esther Delisle d’avoir permis que son ouvrage soit lesté, sans qu’il y eût la moindre nécessité, de ma petite postface inutile.

Mais venons-en au fait.

[1] Gary Caldwell, « La controverse Delisle-Richler. Le discours sur l’antisémitisme au Québec et l’orthodoxie néo-libérale au Canada », L’Agora, juin 1994, vol 1, no 9.

[2] Louis Cornellier, « Recherche historique et chasse aux sorcières »,
Le Devoir, 5 août 1998.

[3] Esther Delisle, « Puissant poncif », Le Devoir, 20 août 1998.

[4] Jacques Dufresne, « L’honnêteté intellectuelle de madame Esther
Delisle », Le Devoir, 28 août 1998.

[5] Pierre Trépanier, « Un film qui joue avec la vérité », Le Devoir, 26 mars 1997.

[6] Gérard Bouchard, « Le Québec et la diversité », Le Devoir, 26 mars 1997.

[7] Ibid.

[8] Jacques Rouillard, « Le Québec était-il fasciste en 1942 ? », Le Devoir, 13 novembre 1996, p. A7.

[9] Pierre Vennat, « Le pamphlet d’Esther Delisle : La démythification d’un monument national », La Presse, 8 novembre 1992.

[10] Béatrice Richard, « De simples soldats », Le Devoir, 18 novembre 1996.

[11] Stéphane Stapinsky, « Vous avez dit : “pléthore de commentaires férocement antisémites” ? », La Presse, 21 décembre 2000.

3) Pistes de réflexion



J’attire d’abord l’attention de la lectrice de bonne foi (de même que celle du lecteur) sur le fait que le titre de cet ouvrage n’est pas Essais sur l’imprégnation fasciste DU Québec, ni Essais sur l’imprégnation fasciste DES QUÉBÉCOIS, mais bien Essais sur l’imprégnation fasciste AU Québec...

Qu’est-ce que l’imprégnation fasciste ? L’auteure le dit clairement dans son introduction :

L’imprégnation fasciste, ce n’est pas autre chose que la « volonté de rupture de l’ordre libéral » qui demeure le « fil conducteur » unissant les groupes radicaux des années trente. L’ordre libéral, la bête noire de tous les extrémismes, peut être rompu, bien sûr, en tirant à droite... ou en tirant à gauche. Et encore mieux en tirant des deux bords à la fois.

Dans son essai Vieille garde et jeunes turcs, Esther Delisle montre bien que si effectivement des thèmes et des slogans de l’extrême droite des années trente, de même que des éléments de son programme, ont été repris dans les années soixante par le centre libéral, le phénomène le plus frappant, (celui qui moi m’intéresse plus particulièrement, en tant qu’anticommuniste obsédé) c’est l’émergence graduelle, c’est l’implantation, puis la domination, sur le terrain nationaliste, d’une gauche marxiste, qui, tout en partageant avec l’extrême droite le même discours anti-libéral, jouissait d’une légitimité qu’avaient perdue et le fascisme et le nazisme (vaincus sur le terrain et déconsidérés dans les esprits).

Il est désolant de constater que même les indépendantistes hostiles à la violence et
favorables à la démocratie n’osaient réprouver sur la place publique que les moyens employés par les extrémistes, rarement leurs objectifs. Ces objectifs, quels étaient-ils ? Les discours sont clairs, l’essai d’Esther Delisle vient encore une fois de nous les rappeler. Car si effectivement les felquistes et leurs sympathisants voulaient réaliser, par la violence ou autrement, l’indépendance du Québec, ils ne voulaient pas que ça ! Par la violence ou autrement, ils voulaient faire du Québec quelque chose qui ressemblait à... l’Albanie ? À Cuba ? À L’URSS ? La Chine ? La Corée du Nord ? La Roumanie ? La Lituanie ? Faites votre choix !

Évidemment, ils ne pouvaient réussir, le Québec n’étant pas davantage « prêt », dans les années soixante ou soixante-dix, pour la révolution socialiste souhaitée par Vallières (par exemple), qu’il n’avait été sympathique dans les années trente au régime nazi prôné par Adrien Arcand (par exemple) !

Mais quel merveilleux outil de déculpabilisation, quand même, à l’époque, que le nationalisme fasciste mâtiné de marxisme-léninisme, d’anticolonialisme et de romantisme révolutionnaire, qui permettait de poser des bombes !... de commettre des vols à main armée !... de tuer par erreur une secrétaire ou un gardien de nuit !... de se voir accorder par une élite étourdie le titre immérité de « prisonniers politiques » ! Qu’heureusement le "système oppresseur" ne leur accorda pas.

Vous direz que ces gens-là finirent par renoncer au crime. C’est exact. Le terrorisme avait été légitime dans le passé, dirent-ils pour la plupart une fois les crises passées, mais il n’était plus nécessaire. Plus rares furent ceux qui renièrent leurs idéaux de l’époque où ils croyaient encore justifié de poser des bombes, de braquer des banques ou d’enlever des gens. Petit à petit, il s’avéra dans les années soixante-dix que l’indépendance pouvait en effet être accomplie par des moyens démocratiques.

Mais l’élection du Parti québécois marqua surtout le début d’une grande désillusion. Non point, à mon avis, parce que le PQ perdit le référendum de 1980 et ne put réaliser l’indépendance, mais surtout, toujours à mon très humble avis, parce qu’il pratiqua quand il arriva au pouvoir une politique de centre-gauche (social-démocrate comme il est convenu de dire).

En fait, le Parti québécois fit, grosso modo, sauf sur le plan constitutionnel, une politique libérale (au sens large) qu’auraient pu pratiquer les libéraux (au sens étroit) ! De toute façon, si la social-démocratie (branche du socialisme détachée de l’arbre) fait partie d’une famille politique, c’est bien de celle du libéralisme pris dans son sens large, y compris dans son sens économique. Les sociaux-démocrates, ce sont des capitalistes plus gentils que les autres, des capitalistes altruistes qui sont plus enclins à venir prendre les sous dans la poche de l’un pour les déposer dans la poche de l’autre (ou pour entretenir une lourde bureaucratie).

C’est ce qu’était le Parti québécois sous la direction de Lévesque, c’est ce qu’il est resté sous Johnson, Parizeau, Bouchard et Landry : un parti de centre-gauche (
1). C’est ça, d’ailleurs, qui choquait tant, qui choque encore aujourd’hui les vrais socialistes.

Non, la politique de centre-gauche du P.Q., ce n’était pas insupportable, loin de là ; mais pour certains c’était une trahison ! Les felquistes repentis des années soixante et leurs suppôts moins violents ou pas violents du tout, croyez-vous qu’ils étaient contents entre 76 et 80, entre 80 et 85 ? Lisez donc Un Québec impossible, de Pierre Vallières. Qu’est-ce qu’il veut encore, qu’est-ce qu’il prêche encore en 1977, Pierre Vallières ? La même chose qu’en 65, qu’en 68 ou qu’en 70 : la révolution socialiste, c’est-à-dire la victoire au Québec d’une des deux pires calamités du XXe siècle, un Québec soumis à la barbarie !

Bien sûr, dans de longues pages remplies d’un désespoir amer qui me rappelle certaines colères de François Hertel (citées par Esther Delisle), Vallières confesse douloureusement que son rêve ne peut se réaliser (heureusement pour nous !)... Et bien sûr, lorsqu’il écrit lui-même le mot « totalitaire », c’est pour nous dire qu’il rejette le totalitarisme. Mais tout en proposant en même temps, le crétin, dans un discours où se retrouvent mêlés antiaméricanisme, anticapitalisme, écologisme et quelques autres « ismes », tous les moyens nécessaires pour que la dictature triomphe. Une dictature du Bien, car Vallières était un grand idéaliste.

Oui mais, me direz-vous, pour arriver à ses fins (à supposer qu’elles soient celles que vous dites), Vallières n’employait plus que des moyens pacifiques : il écrivait des bouquins, il prononçait des conférences, il militait dans un parti politique, peut-être même qu’il priait... Tout à fait ! Vous avez raison ! Il faut lui en savoir gré. N’importe qui peut militer pour n’importe quoi, à condition de le faire à l’intérieur de la légalité démocratique. Du moins dans un régime de Droit.

Mais il faut que je rectifie : n’importe qui peut militer pour n’importe quoi... à condition de le faire à gauche. Imaginez un clone d’Adrien Arcand proposant aujourd’hui, même par des moyens pacifiques, un régime fasciste (
2) et antisémite ! Impossible ! Et heureusement, d’ailleurs !

Évidemment, on n’a plus à combattre, dans le Québec d’aujourd’hui, ni le nazisme ni le communisme, qui ne sont plus objets de luttes ou de débats qu’en tant que fossiles de l’Histoire. Là se trouve selon moi la grande différence, même de nos jours, entre l’anti-libéralisme de droite et l’anti-libéralisme de gauche, entre le fascisme et le communisme.

Et c’est, selon moi, ce qui explique en grande partie les réactions de notre intelligentsia aux livres d’Esther Delisle : la honte rattachée au fascisme et au nazisme. Le fascisme est une maladie honteuse. Même des vieillards cacochymes (
3) qui ont déjà flirté avec le fascisme dans leur jeune âge ne veulent pas que ça se sache.


[1] Qu’il est demeuré sous Boisclair et demeure sous Marois (note ajoutée en 2008).

[2] Il aurait été plus exact d’écrire nazi (note ajoutée en 2008).

[3] Adjectif malheureux, que je regrette d’avoir employé juste avant d’évoquer la mésaventure de Jean-Louis Roux. Qu’il soit bien entendu que l’épithète ne le visait nullement. Mea culpa ! (note ajoutée en 2008).

4) Jean-Louis Roux et la croix gammée



Ce qu’on lui a surtout reproché à Jean-Louis Roux, ce pelé, ce galeux, ce fédéraliste, c’est d’avoir affirmé pour sa défense que sa « fanfaronnade » avait été commise dans un contexte où une grande partie de la jeunesse canadienne-française partageait sa sympathie pour les régimes fascistes européens.

Ce qu’on apprend à la lecture de Fragments d’une jeunesse retrouvée à propos des convictions et des activités de Jean-Louis Roux, ce qu’on apprend sur les convictions et les activités de ses amis et mentors à la fin des années trente et au début des années quarante, rendent tout à fait plausible l’excuse que le-seul-à-se-faire-pincer donna en 1996 au geste qu’il avait posé en 1942.

Bien sûr, son explication constitue une forme de mouchardage. Mais un mouchardage éclairant. Aussi ne puis-je suivre Béatrice Richard quand elle écrit :

Les insinuations de Jean-Louis Roux sur l’attitude des Canadiens-français pendant la Deuxième Guerre mondiale sont inacceptables. [...] que Jean-Louis Roux ait sciemment déterré cette déshonorante fanfaronnade pour éclabousser la mémoire des Canadiens-français de l’époque et, à travers eux, les « Séparatistes » d’aujourd’hui, est ahurissant (
1).

Ahurissant ? Ahurissant pour Mme Richard, en effet, qui se montre à ce point ahurie qu’elle entreprend ensuite de démontrer ce que tout le monde savait déjà (y compris M. Roux, qui n’a jamais dit que le Canada français était fasciste) : la mentalité d’une certaine élite n’était pas celle de la majorité des Canadiens français, qui se sont engagés sur une base volontaire, qui ont participé à la guerre en Europe, qui ont sacrifié leur vie pour combattre le fascisme et le nazisme. On appelle ça noyer le poisson... ou défoncer une porte ouverte.

Je suis persuadé pour ma part que Jean-Louis Roux raconte la stricte vérité. J’appelle à la barre deux témoins de l’époque. Voici ce qu’écrit Yves Lavertu à propos d’un collaborateur du journal Le Jour, le franciscain Carmel Brouillard :

Là où le directeur du Jour [Harvey] met l’accent sur le nombre restreint de fascistes, Brouillard fait plutôt porter le débat sur le climat politique au Canada français [on est en 1939], sur la mentalité fasciste particulièrement répandue chez les jeunes et les classes dirigeantes.

Le franciscain stigmatise également le caractère sûri du catholicisme pratiqué par ses compatriotes. Enfin, il écrit : « Le fait que notre population est aux trois quarts emmussolinisée n’est pas normal. L’antisémitisme, le racisme, l’idéologie étatique sont incompatibles avec l’esprit chrétien (Note de Lavertu : Le Jour, 8 avril 1939) ».

S’il dénonce le fascisme mussolinien, Brouillard ne condamne pas pour autant le séparatisme au Canada français [...] Bien au contraire. [...] Les exemples de nationalismes pathologiques en Europe, écrit-il, ne doivent pas servir à condamner ce mouvement au Canada
(Note de Lavertu : Carmel Brouillard, Le séparatisme ne doit pas mourir, Montréal, Éditions des Jeunesses patriotes, 1939, p. 6). (
2)


Affirmant que les Canadiens français étaient aux « trois quarts emmussolinisés », le séparatiste Brouillard allait plus loin que n’allait le fédéraliste Harvey et que n’iront Vallières, Delisle et Roux. Témoignage de Jean-Charles Harvey :

Enfin, M. Pelletier [Georges Pelletier, directeur du Devoir], déclare avec un accent passionné qu’il n’existe pas de pro-nazis chez nous. Ce journaliste ne voit sans doute que les quatre murs de son bureau et n’entend aucune conversation. Personnellement, j’ai rencontré et entendu plusieurs fascistes et nazis. Le Devoir même encourage les organisations para-fascistes qui se sont formées en plus d’un milieu québécois. Ces gens sont ses lecteurs assidus. Ceux-là le lisent aussi qui, dans un coin d’une certaine université, se plaisent à tracer et retracer, à mesure que d’autres les effacent, des croix gammées [c’est moi qui souligne].(
3)

Des croix gammées ? Mais sabre de bois !... De quelle université s’agit-il ? De McGill ? Laissez-nous deviner... Sapristi !... Le chat(ciste) sort du sac ! L’Université de Montréal ! Université dont le journal étudiant épousait (à moins qu’il ne s’agît d’une union libre) l’orientation politique d’un autre journal... dirigé par Georges Pelletier ! ...

Nous dirons donc, afin ne pas salir les Canadiens français (que diraient mes parents, qui se sont mariés en 1942, et qui ne méritent pas qu’on crache sur leur tombe ?), que Jean-Louis Roux, étudiant en médecine à l’Université de Montréal, ne dessinait pas la croix gammée que sur son sarrau. Nous jurerons que c’est lui et lui seul (jeune homme hyperactif) qui traçait et retraçait TOUTES les croix gammées qui apparaissaient dans un coin d’une certaine université (de Montréal).

Certains systèmes de défense sont à ce point ridicules qu’il ne valent qu’un haussement d’épaule ; celui de Béatrice Richard et consorts est de cet acabit. Pour ma part, je me fais un plaisir de me ranger dans le camp de Jean-Louis Roux, ce pelé, ce galeux (d’où nous vient tout le mal), car je trouve que dans toute cette histoire c’est lui qui a été le plus honnête. Mais le plus maladroit.

Déjà, le 14 mars 1995, Le Devoir avait révélé au peuple que le pelé, que le galeux pouvait bien avoir dessiné une croix gammée en 1942, car encore en 1945, il continuait de signer des articles pro-franquistes dans Le Quartier latin. C’est qu’il en a mis du temps à comprendre, le bougre !

À ce propos, Lise Bissonnette revient à la charge le 5 novembre 1996 :

Comment expliquer qu’en décembre 1945, dans un éditorial du Quartier Latin, journal des étudiants de l’Université de Montréal, M. Roux faisait l’apologie virulente du dictateur Franco, six ans après l’écrasement sanglant des forces démocratiques en Espagne ?» (
4)

Bonne question ! Mais parlant de la défaite des forces « démocratiques en Espagne », la locutrice Bissonnette fait la preuve qu’elle ignore (ou préfère ignorer) les tenants et aboutissants de la guerre d’Espagne. Car des forces démocratiques, il n’y en avait pas davantage (dans l’Espagne de 1939), dans le camp de gauche que dans le camp de droite (
5), la cause de la République espagnole ayant été soigneusement confisquée par des émules de Joseph Staline. Les forces démocratiques, tenez-vous-le pour dit, elles avaient été écrasées par les Républicains eux-mêmes.

Ça, on peut toujours comprendre que ne l’eussent pas encore su les locuteurs de 1940 ou 1945. Mais qu’une éditorialiste puisse encore l’écrire en 1996, ça prouve bien que la vérité n’intéresse personne !

Quoi qu’il en soit, l’argument utilisé contre le-pelé-le-galeux se retourne contre ceux qui s’en servent. Si Roux pouvait publier un éditorial franquiste en 1945, c’est que le journal dans lequel il publiait était franquiste, c’est que les lecteurs à qui il s’adressait étaient toujours sympathiques au franquisme ! Et c’est que les leçons de la Seconde Guerre mondiale n’avaient pas encore été comprises et/ou retenues par tout le monde et son père.

Et je parierais ma chemise (bleue ou brune ?) que l’ « autre journal » l’était encore un tantinet (franquiste), comme il était encore un tantinet pétainiste, ainsi qu’il le démontrera avec l’affaire Bernonville. Le-pelé-le-galeux n’aurait donc pas été le seul à ne prendre que tardivement le droit chemin... je veux dire le chemin gauche ?

Qu’on ne nous prenne pas pour des imbéciles : l’opprobe n’est jeté sur Jean-Louis Roux en 1996 que parce qu’il est fédéraliste et maladroit en 1996, pas du tout parce qu’il était nazi en 1942. Premièrement parce qu’il n’était probablement pas nazi. Sur ce point-là, j’incline vers l’interprétation de Jacques Rouillard :

Certains y ont vu [dans le geste de Roux] une adhésion au nazisme et une manifestation d’antisémitisme. Pour le nazisme, ce serait très étonnant compte tenu du milieu qu’il fréquente ; pour l’antisémitisme, il en subit l’influence comme il l’avoue lui-même dans sa lettre de démission. Mais si on tient compte du contexte du début de l’année 1942, son geste est probablement bien plus une bravade pour scandaliser, dirigée non pas tellement contre les Juifs que contre les politiques conscriptionnistes du gouvernement fédéral. La croix gammée est avant tout le symbole du pays et du régime contre qui le Canada est en guerre (
6).

Roux n’était donc ni plus ni moins nazi en 1942 que les mentors et aïeux de ses dénonciateurs d’aujourd’hui, qui eux aussi commençaient à trouver (en 1942) que Hitler était une sombre brute. Antisémite, ça pouvait toujours aller, mais anti-chrétien ? J’irai même jusqu’à prétendre que Jean-Charles Harvey beurrait peut-être un peu trop épais. Mais dans le contexte du combat qu’il menait, il avait quelque motif de présumer que dessiner sur des murs (ou sur un sarrau) le symbole par excellence du nazisme, c’était approuver le nazisme, c’était être nazi.

Cela dit, ceux qui jettent hypocritement les hauts cris sur les fanfaronnades passées du fédéraliste maladroit de 1996, feraient bien de jeter un regard dans leur propre cour pour voir si les nationalistes de 1942 ne faisaient pas partie à l’époque du même gang que Jean-Louis Roux. Ils nous convaincraient ainsi de leur bonne foi.

Mais je sais bien que tout ça, c’est la faute aux Anglais, qui eux aussi se servent des petites anecdotes des années quarante pour déprécier le Québec des années quatre-vingt-dix. Ils le disent eux- mêmes. Sean Purdy, de l’Université Queen’s, à Kingston, écrivait récemment dans un forum de discussion d’Internet fréquenté par des historiens : «La critique du nationalisme québécois entourant l’affaire Roux a été une attaque déguisée contre le nationalisme québécois actuel (fondée sur) une dissimulation de sa propre histoire par le Canada anglais. [...] »(
7)

Je le disais au début, je l’ai répété et je le répète : la vérité n’intéresse personne ! Surtout dans les facultés de sciences humaines. Et même chez les Anglais, qui eux aussi entretiennent le mythe. Le mythe ?

Moi, le titre de l’article de L’actualité me turlupine un peu. Le mythe du Québec fasciste ? Il surgit d’où, il vient de qui le mythe, sinon de ceux-là même qui, pour qu’on ne sache surtout pas qu’il y avait eu des penseurs fascistes, des groupes fascistes, des étudiants fascistes (ce que disent Brouillard — à ne pas confondre avec Rouillard —, Harvey, Vallières, Delisle et Roux... et un peu Bouchard) dans le Québec de ces années-là, ont nié frénétiquement ce que personne n’avait jamais affirmé (sauf quelques maudits Anglais, qui de toute façon n’ont jamais rien compris au Québec), c’est-à-dire que c’est le Québec qui était fasciste ?

C’est l’ « effet Delisle » : pour défendre la mémoire d’un arrière-grand-oncle libidineux accusé d’attouchements, on crie sur sa tombe que le clan est vertueux ! Comme si c’était là le problème !

[1] Béatrice Richard, « De simples soldats », Le Devoir, 18 novembre1996.

[2] Y. Lavertu, op. cit, p. 127-128.

[3] Jean-Charles Harvey, Le Jour, 16 mai 1942, cité dans Y. Lavertu, op. cit. p. 348.

[4] Lise Bissonnette, « Le symbole de l’hypocrisie » (Éditorial), Le
Devoir, 5 novembre 1996, p. A 6.

[5] En dehors des extrêmes, il y avait d’ailleurs en Espagne autant de démocrates à droite qu’à gauche. Rappelons aux ex-lecteurs de Mme Bissonnette qu’il y avait eu en Espagne, de 1933 à 1935, un gouvernement républicain dominé par la droite, gouvernement imparfait, assurément, mais qui avait davantage respecté la légitimité républicaine et ses institutions que ses prédécesseurs et successeurs de gauche, dont de nombreux éléments appelaient plutôt une révolution à la soviétique qu’un système démocratique d’obédience libérale. Oups... Va-t-on m’accuser de révisionnisme dans les pages du Devoir simplement parce que je rappelle certains faits historiques ?

[6] Jacques Rouillard, « Le Québec était-il fasciste en 1942 ? », LeDevoir, 13 novembre 1966, p. A 7.

[7] Luc Chartrand, « Dis-moi la vérité ! 1930-1945. Le mythe du Québec fasciste », L’Actualité, 1er mars 1997, vol. 22 no 3.

5) Trudeau et ses copains


Les révélations que nous devons à Esther Delisle à propos de Trudeau le réhabilitent à mes yeux : je comprends davantage maintenant son attitude envers le nationalisme québécois et les décisions qu’il prit au moment de la Crise d’octobre. C’est qu’il savait, ou croyait savoir à qui il avait affaire. Comme il avait fort bien connu les nationalistes des années trente et quarante, comme il avait fait partie de la joyeuse bande de carabins, on peut comprendre ses réticences devant la montée du séparatisme dans les années soixante.

Devenu allergique à la notion d’État-Nation à laquelle il avait adhéré lui-même jusque dans les années quarante, il ne pouvait concevoir, ce buté, que le nationalisme pût être démocratique et ouvert sur le monde. Dès le début de la montée du séparatisme, il vit donc venir le danger du côté des Chaloult, des Barbeau ; il ne le vit venir que tardivement du côté des Gagnon, des Chartrand.

C’est que Trudeau se considérait comme un homme de gauche. Je croisqu’il en était un : il n’y a qu’à examiner les politiques économiques de son gouvernement pendant la décennie soixante-dix. Homme de gauche et, à sa manière, ultra-nationaliste : la FIRA (Agence de tamisage des investissements étrangers) en est un exemple frappant. Homme de gauche et larron en foire : il se ridiculisait en se promenant bras dessus bras dessous avec le dictateur Castro. Quelle piteuse exhibition de pseudo-ouverture sur le monde !

Mais n’accablons pas trop Pierre Elliott Trudeau : il arrivait couramment, à l’époque (Trudeau n’était pas le seul), que les dirigeants des pays occidentaux, pour plaire à la gauche pantouflarde du monde libéral, aillent fumer un cigare, boire un pot, grignoter des petits fours dans les coquetels en bavardant avec les tyrans des pays communistes. Au mépris, bien sûr, des peuples opprimés par les susdits tortionnaires. Le millionnaire d’Outremont souriant devant les caméras en compagnie du pote-en-tas cubain, quel histrionisme !

Chez nous, Trudeau-le-borgne n’avait pas vu, ou n’avait vu que tardivement, que les assises idéologiques du séparatisme québécois avaient lentement glissé de la droite vers la gauche, que le nationalisme anti-libéral s’était refait une nouvelle virginité en reprisant par-dessus ses vieilles plaies un hymen marxiste-léniniste.

Et le voilà qui se fait tout miel avec le maître absolu d’une île qui a déjà accompli la révolution nationale et socialiste que désiraient de toutes leurs bombes et de tous leurs manifestes les felquistes qu’il avait combattus lui-même en abolissant les libertés civiles ?

La situation ne manque pas d’ironie. Ainsi, au moment même où Trudeau et Castro se font des mamours, des felquistes en exil moisissent et déchantent dans l’île. On les avait d’ailleurs éloignés de la scène, en même temps que les éléments suspects du peuple cubain (c’est-à-dire le peuple cubain), des tréteaux sur lesquels le Lider Maximo et le Premier ministre démocratiquement élu du Canada allaient se donner en spectacle. Si vous n’y voyez pas de contradiction, moi j’y vois matière à réflexion.

Tiens... ça me rappelle un petit fait raconté par Louise Lanctôt (une des exilés). Lors d’un voyage à Cuba, une vieille connaissance de Trudeau, Michel Chartrand, lui reprochera (à la Lanctôt) de se complaire dans la déprime plutôt que de collaborer à la construction du socialisme à Cuba.

Ha ! Ha ! Ha ! Ce qu’il a pu en proférer des sottises dans sa vie, Chartrand ! Trudeau était l’ami du dictateur ? Chartrand était le camarade de la dictature ! On fera un jour à Michel Chartrand, j’en parierais ma chemise rouge, des funérailles nationales ! Soit, quelques esprits chagrins lui feront peut-être le reproche d’avoir jadis admiré le régime de Salazar, mais qui osera lui tenir rigueur de tous ses gestes et déclarations favorables aux bienfaits promis du socialisme, dont on sait les dégâts qu’ils a causés dans les pays où il a sévi ?

Chartrand, s’il a toujours agi, pour combattre le capitalisme, dans les limites de la légalité du pays capitaliste où il (Chartrand) sévissait, a quand même prêché la pire des solutions : le socialisme ! Libre à lui ! On ne dicte pas sa conduite ni son discours à un Michel Chartrand, c’est lui qui les dicte aux autres. Voici une déclaration ayant suivi l’explosion de la bombe du FLQ à la Bourse de Montréal :

Les terroristes n’ont pas engendré la violence, c’est elle qui les a engendrés. Il y en a parmi eux qui ne font que se défendre contre la violence qu’on nous impose depuis des générations. Cette violence, c’est celle du système capitaliste qui oblige les travailleurs à vivre dans la pauvreté, qui les accule à l’insécurité et au chômage. Ce qu’il faut, c’est faire la révolution. C’est détruire le système capitaliste et réorganiser l’économie en fonction des besoins du peuple. La CSN à Montréal va aider tous les contestataires, protestataires et révolutionnaires qui ont les mêmes objectifs que nous. (
1)

Les besoins du peuple ? Oui, les besoins du peuple ! Comme en URSS, comme à Cuba ! Mais ne soyons pas trop sévère(s) : Chartrand-le-révolutionnaire a tout autant droit à notre indulgence que Trudeau-l’histrion, que Roux-le-pelé-le-galeux-d’où-nous-vient-tout-le-mal.

Droit à notre indulgence, mais pas à plus d’indulgence que ses vieux camarades ! Vous croyez que c’est mieux, vous, de prêcher (même en demeurant à l’intérieur de la légalité) pour la dictature d’extrême gauche que pour la dictature d’extrême droite ? Oui, vous le croyez. C’est que lorsqu’on souffre d’imprégnation fasciste mais qu’on prêche du côté gauche de la chaire anti-libérale, on travaille toujours, croyez-vous, on oeuvre !... pour le bien (futur) du peuple. Aussi canonisera-t-on un jour Michel Chartrand, après lui avoir fait, grâce à vous, des funérailles nationales où l’on aura chanté syndicalement ses louanges.

Vous croyez que je charrie ? Je ne charrie pas ! Combien de politiciens, de professeurs, d’historiens aujourd’hui rassis et plus du tout fanatiques, ont défendu naguère le totalitarisme de gauche ? Combien ont milité dans des mouvements d’extrême gauche prônant et préparant la Révolution ? Leur en tient-on rigueur ? Non : on les en félicite !

Au pire, quand on évoque les groupuscules gogauchistes (
2) ce n’est que pour s’en moquer. Il y en a même qui se servent de l’extrême gauche des années soixante-dix pour banaliser l’extrême droite des années trente :

On peut comparer la droite des années 30 à la gauche des années 60 et 70. À l’extrême de ces mouvements se trouvent les marginaux (le parti d’Adrien Arcand, les groupes marxistes-léninistes), qui ne sont guère nombreux, chacun à leur époque, mais dont les idées sont largement diffusées et influencent l’opinion. Qui a oublié les manifestes marxisants publiés par les trois grandes centrales syndicales dans les années 70 ? Quand on propose cette analogie aux historiens, elle rallie aussi bien René Durocher qu’Esther Delisle. (
3)

Si on applique à cette proposition (que par ailleurs j’endosse) ce que j’appelle l’ « effet Delisle », il ressort du propos de l’auteur que, détectant des marxistes québécois dans le Québec des années soixante-dix (présents même dans les grandes centrales syndicales), il accuse tout le Québec des années soixante-dix d’avoir été communiste ! L’infâme ! Tous fascistes en 1940 (dixit Delisle), les Canadiens français sont tous devenus communistes en 1970 (dixit Chartrand). J’espère qu’il se trouvera quelque part un héritier spirituel de Gary Caldwell pour décortiquer les grossières prétentions de Luc Chartrand et démontrer que sa thèse constitue une forme de « délire ».

Mais soyons un peu sérieux. Si une candidate au doctorat présentait en 2002 à l’Université Laval une thèse de doctorat portant sur les agitateurs et polygraphes communistes québécois des années soixante et soixante-dix, croyez-vous qu’elle provoquerait les mêmes levers de bouclier qu’Esther Delisle en 1992 ?

Pas une maudite miette ! On n’en ferait pas un plat ; on n’en parlerait sans doute même pas ! Car dans la mémoire hémiplégique des bien-pensants de l’intelligentsia québécoise, l’interdit ne fonctionne que d’un bord. Les vieux staliniens, les vieux trotskystes, les vieux maoïstes peuvent dormir sur leurs deux oreilles de vieux sourdingues : on ne les condamnerait que si on apprenait par inadvertance qu’ils ont été franquistes vingt ans avant de devenir castristes. Et encore ne leur en tiendrait-on vraiment rigueur que s’ils sont fédéralistes en 2002.

Ainsi, la malheureuse candidate au doctorat qui aura mis au jour les turpitudes passées des nationalistes d’aujourd’hui ne se verra-t-elle opposer qu’un haussement d’épaules et n’aura-t-elle à affronter que des soupirs de lassitude. (
4)

La vérité n’est qu’à moitié interdite. Malheureusement pour elle, mais heureusement pour la vérité, Esther Delisle a gratté le bobo du bord où ça fait mal.


[1] Louis Fournier, Le FLQ : Histoire d’un mouvement clandestin, p. 199.

[2] Le mot « groupuscules » est réducteur, l’épithète « gogauchiste » un peu trop tendre. Quelques groupes étaient solidement organisés et leurs menbres ne faisaient pas que jaser de Révolution dans des salons capitonnés. Que l’on songe seulement à La Ligue communiste (marxiste-léniniste) du Canada (qui deviendra le Parti communiste ouvrier), à En lutte !, à certains mouvements trotskistes, comme le Groupe socialiste des travailleurs du Québec (note ajoutée en 2008).

[3] Luc Chartrand, op. cit.

[4] Depuis que ces lignes ont été écrites, quelque lumière nouvelle a été jetée sur les mouvements d’extrême-gauche qui pullulèrent au Québec entre les années soixante et quatre-vingt. Je songe plus particulièrement au film Il était une fois... le Québec rouge, deMarcel Simard, au dossier publié dans le Bulletin d’histoire politique de l’Uqam (Vol. 13 no 1) Histoire du mouvement marxiste-léniniste au Québec, à l’essai de Jean-Philippe Warren, Ils voulaient changer le monde. Ces travaux ont évidemment provoqué d’autres réactions que le simple je-m’en-foutisme anticipé (de manière volontairement ironique) dans mon texte (note ajoutée en 2008).

6) Le Fascisme aujourd'hui



Le mot « fasciste » est devenu de nos jours une véritable tarte à la crème, qu’on lance n’importe quand à la figure de n’importe qui. Un jeune politicien québécois, Mario Dumont, a goûté récemment à cette médecine de charlatan. L’ubiquité du fascisme n’est cependant pas un phénomène nouveau :

The emotional content of this word has for a long time contributed to obscuring a political concept that was never in the first place very clear. When Mussolini and Leon Blum, Franklin D. Roosevelt, Franco and Joss Antonio, Codreanu, Piludsky, Henri de Man, Joseph McCarthy, Charles de Gaulle have each and all in their turn been labelled fascists, what then could fascism signify ? (1).


En effet. Quand il voulut décrire la situation qui prévalait pendant la Guerre d’Espagne, George Orwell, qui avait l’expérience du terrain et qui savait à quoi s’en tenir, se sentit obligé, pour bien montrer les menaces qui pesaient sur les Espagnols, de définir le combat entre les franquistes soutenus par Hitler et les républicains soutenus par Staline comme un combat entre deux fascismes.

Définir le communisme comme une forme de fascisme est évidemment une solution un peu facile. Car s’il existe de nombreuses ressemblances entre les deux régimes, (leur histoire respective démontre, par exemple, qu’ils sont aussi oppresseurs et meurtriers l’un que l’autre) (
2), les différences sont également tout aussi importantes.

Pourtant, même à qui n’ignore pas ces distinctions essentielles, il demeure tentant, pour flétrir les communistes, d’utiliser l’injure suprême, celle qui consiste à les traiter de fascistes ! Car le fascisme seul marque d’un stigmate indélébile le dictateur, l’écrivain, le politicien, le simple quidam. Du moins sous nos cieux cléments.

Il n’en est évidemment pas de même en Roumanie ou en Hongrie, par exemple, pays où ont sévi les deux formes de totalitarisme. Dans ces contrées-là, le communisme est plus honni que le nazisme. Et on y banalise parfois la Shoah en lui opposant ce qu’on appelle là-bas l’holocauste rouge. Ces débats ne nous concernent que fort peu.

Qu’en est-il aujourd’hui du fascisme au Québec ? Question difficile, à laquelle je tenterai de répondre par la bande.

Si l’on s’en tient à la définition donnée au début le l’ouvrage de Mme Delisle, l’imprégnation fasciste, c’est « la volonté de rupture de l’ordre libéral ». Comment ne pas conclure de là que le fascisme menace encore ? Quelle forme prend-il ? Le fascisme est un virus mutant. Risquons quand même une réponse.

L’imprégnation fasciste se manifeste à travers un discours critique et une agitation groupusculaire, à travers également un nihilisme impuissant dont l’ultime ressource est d’applaudir quiconque attaque par n’importe quel moyen le néolibéralisme, la civilisation occidentale, le Grand Satan américain.

On sait ce qu’on hait, on a identifié ce qu’on veut détruire : le néolibéralisme et l’impérialisme états-unien ; mais on n’a rien à proposer (pour le moment : le fascisme de demain étant encore en construction) comme solution de rechange (à supposer qu’une solution soit recherchée). Car les leçons du XXe siècle ayant tout de même porté fruit, ni le fascisme ni le communisme proprement dits ne peuvent habiter le monde idéal rêvé par ceux qui travaillent à détruire notre monde pourri.

Je laisserai donc à ceux que le fascisme imprègne la tâche de définir et de fonder le fascisme nouveau qui succédera aux fascismes anciens. Il reste que certains prodromes se manifestent en certains milieux. Ils donnent un avant-goût de la forme que prendra le fascisme lorsque le virus anti-libéral, qui provoque la maladie, aura achevé sa mutation.

Ces anecdotes, ces incidents, ces crises d’urticaire permettent, même à un observateur n’ayant pas terminé sa quatrième année du cours primaire, d’affirmer que ces petits faits sont les signesavant-coureurs du fascisme à venir :

1 - La présence parmi les manifestants pacifiques, à chaque fois qu’un organisme international tente de se réunir, de fanatiques qui tentent d’empêcher par le saccage que n’aient lieu les réunions où les chefs d’états et/ou leurs représentants pourraient s’entendre sur des moyens d’empêcher que ne soit que sauvage le phénomène de la globalisation.

2 - Le discours même des manifestants et conférenciers pacifiques, qui n’en ont que contre le néolibéralisme et le Grand Satan. Ah oui ! J’oubliais ! Et contre le seul État fasciste de la planète (en dehors des États-Unis) : Israël.

3 - Les applaudissements, les hourras, les bravos, les bis ! des chiens édentés quand s’effondrent sur des Américains des tours américaines ou que se suicide à la dynamite, dans un autobus israélien, un kamikaze palestinien.

C’est arrivé à Montréal le 11 septembre 2001 ! Des étudiants en anthropologie sont réunis dans un local. La télévision est allumée, s’effondre en direct la deuxième tour du World Trade Center. Salve d’applaudissements, transports de joie.

Dans les jours qui suivent,constatation étonnée, par un professeur de science politique, que la capacité d’analyse des événements en cours par ses étudiants de première et deuxième années est à peu près nulle. Elle se limite à la simple éructation d’un antiaméricanisme à la fois viscéral et mal articulé. On dirait des saoûlons de taverne réglant le sort de la planète entre la première et la deuxième période d’un match Canadiens-Bruins. Sauf qu’ils n’ont pas l’excuse d’être saoûls !

Les discussions qui ont lieu à l’université au sein du corps professoral et entre professeurs et étudiants, confirment la première impression du prof interloqué : une majorité d’étudiants (pas tous, heureusement) est incapable d’une autre analyse que le sermon anti-libéral et antiaméricain entendu de la bouche des auditeurs politisés dans les lignes ouvertes de la radio d’État.

C’est dire la faiblesse du discours. Et ici, le mot discours est flatteur ! Ce que j’appelle ici discours s’apparente plutôt à la simple répétition par un perroquet bien dressé de formules stéréotypées apprises par coeur. Mais apprises où et de qui ? À l’université même ?

Sans doute pas. Ces jeunes hommes et jeunes femmes né(e)s un peu avant ou un peu après 1980, et probablement élevé(e)s dans de bonnes familles (reconstituées ou pas) par des parents en général assez instruits nés entre 1940 et 1960, ne font sans doute que régurgiter dans les salles de cours et à la cafétéria les idées sommaires diluées naguère dans le lait maternel, les opinions mélangées jadis à la panade que papa leur présentait dans une petite cuillère.

C’est donc encore la faute des baby-boomers ! Simple supposition... Peut-être ces jeunes têtes sont-elles arrivées à l’université vierges et pures de tout préjugé et n’ont-elles acquis leur vision du monde qu’au contact de doctes mentors. C’est possible aussi, en effet. Car il se trouve malheureusement, parmi le corps professoral, des têtes achevées qui s’avèrent tout aussi bornées que les têtes estudiantines.

N’est-ce pas qu’elles nous promettent un avenir radieux, l’anthropologie et la science politique telles qu’elles sont enseignées et étudiées à l’Université de Montréal en ce début de vingt et unième siècle ? Cette même université où, il y a soixante ans, un futur et éphémère lieutenant-gouverneur dessinait des croix gammées !

Que dessinent aujourd’hui sur les murs ou sur leurs jeans troués les étudiants en anthropologie ou en science politique de l’Université de Montréal : faucilles et marteaux, swastikas, croissants, têtes de morts ? Ne nous prononçons pas : laissons plutôt les jeunes fachos choisir eux-mêmes, sous l’égide de leurs mentors, le nouveau symbole du fascisme bébête qu’ils préparent aujourd’hui pour le Québec de demain.

Mais j’annonce à tous ces jeunes crétins et à leurs mentors qu’ils vont faire patate ! Car le Québec ne se reconnaîtra pas dans ces gens-là qui n’accèdent au haut savoir que pour mieux s’avilir dans la bêtise. Non, il ne faut pas compter sur les imbéciles instruits pour diagnostiquer les maux de notre petite planète, encore moins pour y apporter les bons remèdes.

À l’époque des incidents racontés dans Heil Christ !, par qui la vérité, la droiture, le simple sens commun furent-ils défendus ? Par un adolescent, par des journalistes de Montréal-matin et de La Presse, par des éditorialistes des mêmes journaux, par l’écrivain Roch Carrier, par le Conseil du travail de Montréal. Parmi tous ces gens-là, il y en a deux à qui je veux rendre hommage.

Tout d’abord Lucien Langlois, devant lequel je m’incline bien bas tout en me confondant en excuses pour le dédain que j’éprouvais à l’époque (jeune homme infatué aux goûts soi-disant raffinés) pour son journal, le Montréal-matin, qui avait appartenu et qui appartenait peut-être encore au parti de la Grande Noirceur, l’Union nationale. Je retiendrai la leçon : la vérité ne loge pas toujours dans les lieux les plus chics derrière les enseignes les plus prestigieuses.

Et finalement, Jean-Louis Gagnon, qui écrivait lui aussi, à cemoment-là, dans un journal populiste, en l’occurence Le Journal de Montréal. Je vous salue, M.Gagnon. Et je terminerai cette trop longue postface en vous citant :

« En définitive, la droite québécoise aura donné naissance à un fascisme de gauche dont on ne verra la fin que le jour où, dans les écoles, on cessera de combattre, par mille et un moyens, la démocratie parlementaire et les droits de l’homme. »

Dans les écoles, écriviez-vous, M. Gagnon. Sauf votre respect, je me permettrai de préciser : dans les universités !


Pierre K. Malouf

[1] Zeev Sternell, Fascism. A Reader’s Guide, Berkeley, University of California Press, 1980.

[2] Cette affirmation n’est vraie que si, pour simplfier, l’on considère le nazisme comme une forme exacerbée de fascisme. En réalité, on sait que dans ses principes comme dans ses pratiques le fascisme italien est plus éloigné du nazisme, que ce dernier l’est du stalinisme. N’eût été de l’alliance militaire entre l’Italie de Mussolini et l’Allemagne de Hitler, alliance en grande partie conjoncturelle, l’Histoire aurait sans doute portée sur le fascisme italien un jugement un peu moins sévère.

Bibliographie



Ouvrages consultés et/ou cités :



Benoît, Jacques. L’extrême gauche, Montréal, Les Éditions La Presse, Montréal, 1977.

Côté, Jean, Adrien Arcand, une grande figure de notre temps, Montréal, Les Éditions Pan-Am, 1994.

Delisle, Esther, Le Traître et le Juif, Outremont, L’Étincelle Éditeur, 1992.

Delisle, Esther, Mythes, mémoire & mensonges. L’intelligentsia du Québec devant la tentation fasciste 1939-1960, Westmount, Éditions Multimédia Robert Davies, 1998.

Fournier, Louis, FLQ, Histoire d’un mouvement clandestin, Montréal, Lanctôt Éditeur, 1998.

Gagnon, Henri, Les militants socialistes du Québec d’une époque à l’autre, Montréal, éditions H. Gagnon, 1985.

Lanctôt, Alain. Felquiste sans mon consentement. Les Intouchables, Montréal. 1996.

Lanctôt, Louise. Une sorcière comme les autres. Québec/Amérique, Montréal, 1981.

Laurendeau, Marc, Les Québécois violents, Montréal, Les Éditions du Boréal, 1990

Lavertu, Yves, L’affaire Bernonville. Le Québec face à Pétain et à la collaboration (1948-1951), Montréal, VLB Éditeur, 1994

Lavertu, Yves, Jean-Charles Harvey : Le combattant, Montréal, Boréal, 2000.

Revel, Jean-François, Pourquoi des philosophes. 2. La cabale des dévots, Paris, J.-J. Pauvert, 1965.

Robin, Martin, Le spectre de la droite, Montréal, Balzac-Le Griot éditeur, 1998.

Ryan, Claude. Le Devoir et la crise d’octobre 70. Leméac, Montréal, 1971.

Sternhell, Zeev, Fascism. A Reader’s guide. Analyses, Interpretation, Bibliography, University of California Press, Berkeley & Los Angeles, circum 1980.

Vallières, Pierre, Un Québec impossible, Montréal, Québec/Amérique, 1977.

Octobre 70: le Québec en otage. Liberté 191, volume 32/numéro 5/octobre 1990.

Stalinisme et nazisme. Histoire et mémoire comparée. Ouvrage coll. sous la dir. de Henry
Rousso, Bruxelles, Éditions Complexe, coll. « Histoire du temps présent », 1999.


Articles consultés et/ou cités :

Ces documents, que je mentionne dans l’ordre chronologique de leur publication plutôt que dans l’ordre alphabétique des noms d’auteurs ont tous été trouvés sur le web. Lorsque les pages ne sont pas indiquées, c’est que cette information n’apparaissait pas dans le site visité. Vu que je ne suis pas un candidat au doctorat (j’ai à peine terminé ma quatrième année du cours primaire), on me pardonnera ce manquement aux règles établies.

On pourra trouver les articles de Chartrand, Leblanc, Macpherson, Rouillard, et Trépanier sur ; ceux de Bouchard, Caldwell, Cornellier, Delisle, Dufresne, Lapointe, Léger, Roy, Saletti, Scheinberg et Vennat à l’adresse , d’autres sur le site. Je conseille également le site du journal Le Devoir : , de même que celui de La Presse : .

Lapointe, Pascal, « Esther Delisle : celle par qui le scandale arrive », Première
publication : Au fil des événements (Université Laval) 12 septembre 1992.

Vennat, Pierre, « Le pamphlet d’Esther Delisle : la démythication d’un monument national », La Presse, 8 novembre 1992.

Lesage, Gilles, « Le NON du Québec à la conscription de 1942 », Le Devoir, 2 octobre 1992.

Caldwell, Gary, « La controverse Delisle-Richler. Le discours sur l’antisémitisme au
Québec et l’orthodoxie néo-libérale au Canada » suivi de « Le “racisme” de Lionel Groulx selon Esther Delisle », L’Agora, vol 1, no 9, juin 1994.

Bissonnette, Lise, « Le symbole de l’hypocrisie », Le Devoir, 5novembre 1996, p. A6.

Rouillard, Jacques, « Le Québec était-il fasciste en 1942 ? », Le Devoir, 13 novembre 1996, p. A7.

Richard, Béatrice, « De simples soldats », Le Devoir, 18 novembre 1996.

Léger, Jean-Marc, « L’acharnement contre Lionel Groulx vise à travers lui tout le
mouvement nationaliste canadien-français », Le Devoir, 1er décembre 1996.

Scheinberg, Stephen, « B’nai Brith s’explique », Le Devoir, 18 décembre 1996.

Chartrand, Luc, « Dis-moi la vérité ! 1930-1945. Le mythe du Québec fasciste »,
L’actualité, 1er mars 1997, vol. 22, no 3.

Leblanc, Gérard, « La genèse d’un noir portrait antisémite de Montréal », La Presse, 3 mars 1997.

Bouchard, Gérard, « Le Québec et la diversité » (extraits d’une conférence prononcée en
nov. 96), Le Devoir, 26 mars 1997.

Scott, Sarah, « The Lonely Passion of Esther Delisle », Site web Antisemitism and Holocaust, avril 1998.

Saletti, Robert, « Polices des moeurs fascistes », le Devoir, 6 juin 1998.

Cornellier, Louis, «Recherche historique et chasse aux sorcières », Le Devoir, 5 août 1998.

Cornellier, Louis, « Réplique à une réplique », Le Devoir, 20 août 1998.

Delisle, Esther, « Puissant poncif », Le Devoir, 20 août 1998.

Durocher, René, « Une comparaison simpliste », Le Devoir, 20 août 1998

Dufresne, Jacques, « L’honnêteté intellectuelle de madame Esther Delisle », Le Devoir, 28 août 1998.

Dion, Jean, « Je défends la liberté », Le Devoir, 23 décembre 1998.

Masse, Martin, « Pierre Vallières, défenseur de la liberté ? », Le Québécois libre, no 28, 9 janvier 1999.

Stapinsky, Stéphane, « Vous avez dit : “pléthore de commentaires férocement antisémites” ? » La Presse, 21 décembre 2000.

Roy, Mario, « L’ecstasy des intellectuels », La Presse, 11 septembre 2001.

Macpherson, Don, « Quebec’s Crazy Aunt », Montreal Gazette, 9 février 2002.

Dubé, Francine, « Exposing Quebec’s Shameful Secret », National Post, 27 avril 2002.

Trépanier, Pierre, « Un film qui joue avec la vérité », Le Devoir, 7 mai 2002